Scrittore

Philippe Adam

Philippe Adam

2012-2013
2012-2013

Philippe Adam
Periodo: 2012-2013
Professione: Scrittore « Le diable ne peut pas sauver le monde » (« Il diavolo non puo salvare il mondo ») On trouve dans le
Manuel d’Epictète ce conseil intéressant :
« Il est aussi très dangereux de se laisser aller à des discours obscènes et, quand tu te trouveras à ces sortes de conversations, ne manque pas, si l’occasion le permet, de tancer celui qui tient ces discours, sinon, garde au moins le silence… ». Ne pas écouter les discours obscènes, ne pas parler de sa propre obscénité, bref, taire la sexualité, la laisser dans l’ombre, résister à la tentation d’en faire
un sujet , manifester «
par la rougeur de ton front », dit plus loin Epictète, «
que ces sortes de conversations ne te plaisent point ». Et pourtant, elles plaisent. La leçon (le sermon) d’Epictète n’aurait aucun sens si, justement, nous n’étions pas dans ce «
laisser aller »qu’il condamne, si nous n’étions pas curieux d’entendre et tentés de parler, bref, si nous n’avions véritablement aucun désir d’en  entendre parler, si «
la rougeur » des fronts n’était liée qu’à une définitive réprobation qui donnerait alors plutôt l’envie de s’enfuir et non de rester, le front rouge, à écouter «
ces sortes de conversations ». Mais voilà. Après tout, «
ces sortes de conversations » existent-elles ? Il est rare qu’on parle de sa vie sexuelle, et il est rare d’entendre les autres en parler. Bien sûr il y a les blagues, et bien sûr  il y a les vantardises adolescentes, mais après pas grand-chose, comme si très vite l’affaire était close ou devait se régler dans le secret des chambres et des cabinets d’analystes. Entre le « Tout est sexuel » et la pudibonderie nous hésitons, optant le plus souvent pour la stratégie qu’on prête à Talleyrand : « Puisque ces mystères nous échappent, feignons d’en être les auteurs ». Et donc nous sourions avec un air entendu aux rares déclarations des uns et des autres, nous faisons comme si nous savions tous de quoi il retourne, nous prenons l’air blasé de ceux qui ont vécu beaucoup et ne s’étonnent plus de rien ni de personne. Mais que faisons-nous vraiment ? Pourquoi n’en parlons nous pas ? Quel sens attribuons-nous à notre vie sexuelle et d’ailleurs, pourquoi parlons-nous de « vie sexuelle » comme s’il s’agissait d’une vie à part, autre, séparée de la vie tout court. «
Le diable ne peut pas sauver le monde » est un  projet de sémiologie des pratiques sexuelles. On constate par exemple chez les Anciens qu’un même acte pouvait être vivement encouragé, admis, moralement réprouvé ou légalement condamné selon le statut social des participants. L’acte en tant que tel importait donc moins que la signification qu’on lui prêtait en fonction d’une codification des rôles sociaux que chacun se devait de respecter. La Villa Médicis elle-même est traversée dans ses murs, ou plutôt dans ses fresques, de cette question des rôles. Le cardinal Ferdinand de Médicis avait sa chambre, dite chambre des Amours de Jupiter, où il contemplait, de son lit, des fresques qui furent jugées si licencieuses qu’elles furent retirées et détruites par ses successeurs. C’est de cette part manquante, de ces pièces arrachées, invisibles parce que dérobées à la vue, dont il sera question. Le destin de toutes les images n’est pourtant pas de finir à la poubelle, et c’est d’ailleurs principalement l’image, qu’elle soit érotique ou pornographique, qui prime actuellement sur le discours, la grande majorité des productions littéraires érotiques étant d’une très grande faiblesse, au même titre que les prétendus témoignages, si tristement stéréotypés, qu’on trouve dans les magazines dits « de charme », dont on regarde les photos mais qu’on ne lit pas. Multiplication des « briques », au sens où Barthes parlait de « briques », lors de son voyage en Chine, pour désigner les discours monotones, dictés par la pouvoir central, d’usine en usine, accablant tel ministre et valorisant tel autre, lassitude des mêmes « éléments de langage », des mêmes scènes, des mêmes gestes et des mêmes paroles, signeraient donc l’épuisement du discours amoureux. Tout serait dit, et « de l’antiquité à nos jours », les morts et les vivants pourraient dormir tranquille, rien de nouveau. Pas si sûr. Car, en dehors des programmes télévisés, des livres, des reportages, il y a toute une littérature érotique qui s’écrit sans être imprimée nulle part, et cette littérature est dans nos têtes. Chacun élabore chaque jour du discours sexuel, le moindre désir s’accompagne d’un discours intérieur qu’on pourrait assimiler à une petite fable, celle que se raconte n’importe qui, dès lors qu’il désire même fugitivement quelqu’un. C’est de ce discours intérieur dont il sera question, dans le livre à venir, et de la façon dont chacun se fait son petit cinéma, élabore ses fictions, bref, constitue sa propre expérience, silencieusement, sans proclamations, sans tapages ni battages, dans son coin, comme si nous étions tous les scénaristes à la fois obscènes et pudiques de notre vie érotique. «
Le diable ne peut pas sauver le monde », écrivait Alberto Moravia dans son recueil de nouvelles
La
cosa e altri raconti (1983) , mais il est certain que nos murmures, nos embarras et nos petits secrets non plus, tout comme il est certain que le monde n’a pas besoin d’être sauvé, ni personne, et que nous finirons bien sûr tous en Enfer.
Philippe ADAM

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